Dans une carte blanche récente*, Geert Noels entend déculpabiliser Anuna De Wever en expliquant qu’il ne sert à rien de se tracasser de quelques vols en avion alors que le frigo de chaque ménage belge aurait un impact bien plus important. Carton rouge, car cela est faux !
Un aller simple Bruxelles-New York en avion émet autant de CO2 que votre frigo pendant 11 ans ! Explication en quelques chiffres.
De l’impact climatique d’un frigo
L’impact d’un frigo se mesure en 3 chiffres liés à
- son achat (fabrication, transport…),
- sa consommation électrique d’usage et
- sa mise au rebut en veillant au judicieux traitement des gaz réfrigérants (comme le font très bien tous les centres agréés en Belgique).
L’Agence française de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME) a publié en septembre 2018 une double étude sur l’impact carbone et environnemental des biens d’équipements. On y apprend qu’un frigo (modèle à 1 porte et volume utile de 247 litres, i.e. un frigo de 140cm de haut) engendre, pour les étapes 1 (achat) et 3 (fin de vie), 253 kg CO2e, et qu’en moyenne la durée de vie d’un tel frigo est de 11 ans.
Par ailleurs, un tel frigo en classe A consomme de l’ordre de 200 kWh d’électricité par an (un A+ consommerait moins, un A++ encore moins…). Le mix énergétique belge nous renseigne un “poids carbone” de 166g CO2e/kWh (données ELIA et GIEC). Si vous gardez donc le même frigo pendant 11 ans, son impact climatique total pour ces 11 ans sera de 618 kg CO2e (253 + 11 *33,2).
Bien entendu, selon le modèle précis de votre frigo, sa classe énergétique (B, A, A+ ou A+++) et le fait qu’il inclue ou non un bac de congélation, cela peut varier sensiblement. Mais nous avons ici un ordre de grandeur valable pour effectuer une comparaison objective.
Note: L’étude pointe par contre que “la tendance à l’ajout de composants électroniques dans les appareils ménagers (ex : réfrigérateur intelligent) pourrait augmenter significativement l’impact climatique de ces appareils”.
De l’impact climatique des vols en avion
Et du côté de l’avion? Une valeur “basse” classiquement retenue est de 115 g CO2e par passager et par km parcouru (mais les valeurs grimpent jusqu’à 680 g selon le type d’avion, la longueur du trajet car le décollage est très consommateur, de la classe que vous occupez…).
Avec cette valeur, effectuer un vol aller simple Bruxelles-New York (5 900 km) émet donc 678 kg CO2e. Oui, ce seul trajet aller en avion équivaut au fonctionnement de votre frigo pendant 11 ans ! La comparaison de M. Noels, et surtout les conclusions qu’il en tire sont donc erronées, et tiennent plus de l’idéologie que de l’information.
De la manipulation des chiffres et des rapports
Et pourtant l’argumentaire de M. Noels paraît parfaitement raisonnable, s’appuyant sur Drawdown, une grande étude internationale… Pourquoi ses conclusions sont-elles à ce point fausses? Sans doute parce qu’il opère une volontaire découpe des informations qui l’intéresse, en les sortant de leur contexte. Expliquons…
Pourquoi le rapport Drawdown cite l’air conditionné et des réfrigérateurs comme première solution de lutte contre le changement climatique?
Quand Drawdown parle d’une meilleure gestion des réfrigérants, ce n’est pas votre frigo qui est visé, mais plutôt la pléthore d’équipements de conditionnement d’air (tel que très clairement représenté par la photo qu’ils utilisent pour illustrer leur chapitre), ainsi que les grandes installations frigorifiques.

Illustration choisie par Drawdown pour la section sur la « gestion des réfrigérants »
En effet, ces équipements, surtout lorsqu’ils ne sont pas bien gérés, perdent chaque année une partie de leurs fluides frigorigènes, typiquement des hydrofluorocarbures (HFCs), au très fort potentiel de réchauffement climatique. Et, au niveau mondial, un très grand nombre de ces appareils sont utilisés. Heureusement, si lorsque votre frigo a rendu l’âme vous le rapportez bien au marchand qui vous vend son remplaçant, celui-ci l’oriente dans une filière appropriée où ces fluides sont gérés de manière appropriée pour éviter qu’ils soient relâchés dans l’atmosphère.
Par contre, ce n’est pas le cas pour tous les types d’appareillages (dont les aircos), ni partout dans le monde. Des climatiseurs peu ou mal entretenus, ainsi que des grandes installations de refroidissement comme vous en croisez peut-être sur votre lieu de travail, comportent elles un risque de fuite qu’il faut surveiller et endiguer en veillant à une maintenance régulière par des professionnels.
Tout cela demande gestion, temps et argent, et résulte en un impact mondial élevé de par le nombre de grandes cités urbaines dans des zones à forte chaleur où ce type d’équipent est installé en nombre. Et, paradoxe suprême, les vagues de chaleur résultant du changement climatique renforcent l’usage de ces appareils, et leurs fuites qui elles-mêmes renforcent le changement… Drawdown souligne donc l’importance de cette bonne gestion partout dans le monde, et souhaite surtout inciter tous les pays à accélérer la mise en oeuvre de l’accord de Kigali de 2016 qui vise à remplacer ces HFCs par d’autres fluides ou gaz à l’impact nettement moins fort. Mais Drawdown ne dit nulle part que les autres aspects sont non importants et peuvent même augmenter sans conséquence, malgré ce que M. Noels laisse sous-entendre.
Et l’avion, il ne représente vraiment que 2% des gaz à effet de serre chaque année ?
Effectivement, l’aviation ne représentait que 2% des émissions mondiales de gaz à effet de serre en 2017. Avec plus de 4 milliards de voyageurs transportés en 2018, il s’agit sans doute d’un peu plus maintenant. Mais avant de sauter sur des conclusions trop hâtives regardons, comme l’a fait Oxfam en 2017, la répartition des émissions de gaz à effet de serre en fonction de la population mondiale:

Si les appareils de réfrigération et climatisation ont un grand impact, c’est parce que beaucoup de personnes possèdent des frigos, et parfois des climatiseurs. Pour l’avion, par contre, cela fait typiquement partie des émissions émises par les seuls 10% les plus riches de la planète, classe à laquelle appartient le belge “moyen”. Si tout le monde utilisait l’avion de la même manière, leur contribution augmenterait fortement (jusqu’à 10x plus), ce qui semble contre-productif à l’heure où l’objectif commun est de justement réduire les gaz à effet de serre.
Pour donner une idée de l’impact réel de l’aviation, il est intéressant de rappeler que pour contenir l’augmentation des températures sous les 2°, le GIEC recommande de ramener les émissions annuelles à 30 gigatonnes de CO2e d’ici 2030. Si nous émettons l’hypothèse que nous divisons cela de manière équivalente entre les 7 milliards d’êtres humains sur la planète, cela revient à 4,28 tonnes par personne. Un aller-retour en avion jusqu’à New-York émet donc plus de la moitié du CO2e que chacun devrait tenter de contenir pour garder une planète agréable à vivre pour tous. Libre à chacun d’y réfléchir et de proposer (ou pas) ses solutions. Mais parler de “besoin de se déplacer” est très relatif en terme de nécessité (surtout comparé à un frigo) et je ne doute pas qu’Anuna, une fois au fait des chiffres, se posera des questions quant à ses choix futurs.
Personnellement, je préfère nettement restreindre l’impact de mes déplacements, en questionnant l’impérieuse nécessité de tel ou tel d’entre eux, conserver mon frigo, et soutenir des initiatives pour que tous les ménages sur la planète en aient un. Si par contre Monsieur Noels est toujours fâché contre le sien, qu’il m’appelle: je connais des personnes qui ne prennent jamais l’avion et que cela pourrait fortement intéresser !
* Googlez "Votre voyage en avion est plus vert que votre réfrigérateur"... Ce qui est 'ennuyant' c’est que cet article a reçu beaucoup plus d’écho médiatique que les nombreuses réponses factuelles qui ont suivi...
Pour aller plus loin:
- Le rapport Drawdown sur la gestion des réfrigérants.
- Le rapport de l’ADEME sur l’impact environnemental des biens de consommation.
Photo de Enrico Mantegazza sur Unsplash
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